vendredi 6 mai 2011

Suite



             Ce n'était que la seconde fois qu'il mettait les pieds à Galway quand il descendit de la passerelle sur le quai du port. Il y avait déjà accompagné son père il y a deux ans. Celui-ci s'y était rendu pour faire des achats et régler quelques affaires avec un banquier de St Francis Street. Il s'était émerveillé de la ville. Aucun bâtiment à Killronan n'était aussi haut que les immeubles qui composaient le centre ville de Galway. Il y découvrit pour la première fois une automobile à traction avant et en resta bouche bée. Les étales des échoppes apparaissaient comme opulentes au regard de celles qu'il connaissait sur son île. Les quelques jours qu'ils y avaient passés lui avaient laissé des souvenirs fabuleux. Mais les circonstances de son second débarquement ne lui permirent pas de profiter de nouvelles découvertes. Il était attendu sur le quai par un nommé Daniel Murphy, un voisin de Patrick O'Flaherty, qui l'accompagnerait avec sa charrette jusqu'à la ferme.
            Daniel Murphy était un homme gras, au teint pourpre et à l'haleine chargée. Il lui broya la main quand il se présenta à lui. Micheal se tut pendant tout le trajet, le laissant se plaindre seul du cours du blé qui chutait irrémédiablement et de la prochaine récolte qui s'annonçait comme encore plus famélique que celles des dernières années. Micheal observa la campagne environnante quand ils sortirent du bourg. Il fut surpris par la vue de tous ces arbres d'un vert puissant et de ces champs d'orge blonds qui couvraient l'horizon. Lui ne connaissait jusqu'alors que les paysages de pierres grises et de lande de son île. Il n'avait jamais vu autant d'arbres et resta subjugué par cette vision.
            Après une demi-heure à rouler au train, Daniel Murphy le fit descendre avec son baluchon à un croisement de chemins. Il lui indiqua la direction à prendre et lui précisa que la ferme des O'Flaherty se trouvait au bout d'une petite route sinueuse en terre. Il marcha le long de la piste rocailleuse qui courait au milieu des champs. Au bout de quelques minutes, il arriva en vue de la ferme. Elle se composait d'un cottage en pierre assez grand avec un toit en chaume, d'une grange en bois et d'un autre bâtiment qui semblait être l'étable. Des ifs et quelques chênes qu'il trouva magnifiques étaient plantés à l'arrière de la propriété et bordaient un ruisseau qui passait en contre-bas. Toute la famille sortit dans la cour pour l'accueillir. Patrick O'Flaherty lui serra la main chaleureusement et lui présenta sa femme, Cathleen, sa fille Breena et ses deux fils jumeaux Patsy et Quinn. Il fut accompagné par Cathleen dans ce qui allait devenir sa chambre. C'était une petite pièce attenante à la grange qui avait été vidée. Avec l'aide de celle-ci, il y installa une paillasse et une caisse de bois qui ferait office de table basse.

            L'ensemble de la famille se montra chaleureux avec lui. Ils l'accueillirent simplement et se montrèrent respectueux de son deuil, ne l'évoquant que peu. Après quelques jours, il avait commencé à prendre de nouvelles habitudes à la ferme. Ses journées n'étaient plus rythmées par les marées, la pêche et le travail du kelp mais par les travaux des champs et les soins à porter aux moutons. Patrick O'Flaherty se révéla être un homme bon. Il lui confia assez vite des responsabilités dans le travail, voyant que Micheal était un garçon autonome et débrouillard.
            Il se prit d'amitié pour Breena qui, malgré ses 16 ans, un âge assez proche du sien, lui rappelait ses jeunes sœurs. Après quelques jours, elle se rendit compte qu'il ne maîtrisait pas bien l'anglais, surtout à l'écrit. Alors elle lui proposa de l'aider. Chaque soir, après le repas, ils passaient une petite heure dans le salon, à la lumière des bougies, à reprendre des lignes d'écriture et des passages de Synge, de Wilde ou de Swift. Il se plongeait avec émerveillement dans ces contrées imaginaires. Sur Inishmore, il n'avait jamais eu le loisir de pouvoir goûter aux délices de la littérature de cette manière. Son père ne savait pas lire et il n'avait jamais vu un livre chez eux. Les seuls ouvrages qu'il avait pu approcher étaient ceux de Mr O'Neill, son instituteur à Kilronan. L'homme gardait précieusement plusieurs beaux volumes aux reliures finement dorées sur une étagère au-dessus de son bureau. Les livres s'en trouvaient tout bonnement inaccessibles aux élèves. Le savoir restait sur l'étagère et eux quittaient l'école avant leur 12 ans en sachant à peine lire.

            Au début, la nostalgie l'avait souvent submergé. Il avait plus d'une fois songé à filer, pédaler vers Galway pour embarquer sur le premier bateau venu et rejoindre sa famille. Sa mère, ses sœurs, ses oncles, ses tantes, ses cousins, leur maison, leur vie sur Inishmore, il n'arrivait pas à se les imaginer sans lui. Plusieurs fois, Breena l'avait surpris dans la grange ou dans le champ derrière la maison avec des larmes plein les yeux qu'il tentait tant bien que mal de masquer quand il l'apercevait. Elle avait à chaque fois détourné le regard pour ne pas le gêner. Mais elle savait, elle aussi, à quel point sa famille lui manquait. Micheal ne lui en avait que très peu parlé, mais le ton de sa voix ne laissait pour elle aucun doute quand il évoquait son île et les siens. Il pensait tous les jours à eux. Comment aurait-il pu en être autrement?

            La vie recommença pour lui au bout de quelques semaines.
            Une nouvelle vie, presque.




1 commentaire:

  1. Bonjour Yann-Fanch,

    Démarrage très intéressant, j'attends (et j'espère ne pas être le seul) la suite !

    Par ailleurs, avoir pris pour cadre les îles d'Aran est une idée bien originale. J'écris, moi aussi, un roman noir qui se déroule sur une île, en l'occurence, Saint Kilda. Plus d'infos sur http://saintkildanoir.blogspot.com/.
    Bonne continuation et à bientôt.

    Amicalement,

    Guillaume

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